mardi 8 mai 2012
ESCAMOTEUR (1837).
Dans l’Encyclopédie des gens du monde, de Artaud de Montor, publiée en 1837, la définition du mot « Escamoteur » (pp. 758-759), précise :
« Il faudrait n’avoir jamais traversé les places publiques de nos grandes villes pour ne pas savoir ce que c’est qu’un escamoteur.
Le pavé brûlant humide ou poudreux, c’est là son théâtre ordinaire, la foule bigarrée des badauds c’est son auditoire : auditoire, insoucieux du soleil, insoucieux de la pluie, aussi infatigable sur ses jambes qu’un soldat au port d’armes, plus patient que le public le mieux assis, toujours nombreux, toujours content, car toutes les places sont bonnes et personne en prenant la sienne n’a payé le droit de se montrer difficile.
Aussi quelle attention, quel silence, dans le cercle !
Comme tous les yeux sont fixés sur le prestidigitateur, toutes les oreilles suspendues à ses lèvres, les bouches béantes, comme tout ce monde écoute, comme il admire, et surtout comme il regarde sans voir.
En effet s’il voyait, tout serait perdu, adieu la science de l’escamoteur puisqu’elle consiste toute entière à ôter ou changer, à faire disparaître quelque chose en un tour de main sans qu’on puisse s’en apercevoir.
Voici venir l’opérateur, il sort de chez le marchand de vin le plus voisin, c’est là qu’il a son dépôt son cabinet de consultation, c’est là qu’assis sur un méchant tabouret en guise de trépied accoudé sur une table vineuse entre un verre et une bouteille, il vous dira plus tard, moyennant la bagatelle de deux sous et quelquefois perte de votre mouchoir, si : « (…) Vous ferez fortune », si : « (…) Votre maîtresse vous trahit », ou : « (…) Vous attendez de l’argent de là campagne ».
Vêtu de quelques misérables oripeaux les manches relevées jusqu au coude, même par-delà, une gibecière sur sa poitrine, il s’avance d’un air capable, frappe de sa baguette de magicien, sur une table boiteuse, prend les fers-blancs qui la couvrent, les range, les dérange, les choque l’un contre l’autre, les introduit l’un dans l’autre avec fracas.
Ceci n’est encore qu’un préambule une manière d’ouverture pour attirer curieux et leur laisser le temps de s’amasser.
Ainsi nous voyons, les acteurs de nos théâtres, jouer devant les banquettes, quelque vieille pièce usée, en attendant que les spectateurs alléchés par l’ouvrage à la mode, soient bien installés dans leurs loges.
Le peuple s’est assemblé au grand préjudice de la circulation en dépit des règlements de police qui limitent le nombre de places où les escamoteurs ont la permission d’établir leurs tréteaux. Les cochers détournent leurs chevaux en tempêtant, les chiens jappent, l’auditoire est au grand complet.
Notre homme fait orgueilleusement le tour de la société, faisant faire place aux messieurs bien mis, et repoussant aux derniers rangs les gamins, mauvaise pratique, puis le voilà qui recommence son manège, qui frappe set gobelets, qui fait sauter sa baguette avec accompagnement obligé de gaudrioles et de facéties d’un goût plus ou moins pur, mais toutes de nature à agir sur 1a fibre populaire.
Messieurs, s’écrie-t-il avec assurance, en repoussant ses manches jusqu’à l’épaule : « Rien dans les mains, rien dans les poches ».
Du bout des doigts il place une petite balle de liège sous un gobelet, le premier s’appelle passe ; il en met une autre sous un second : celui-ci également passe ; il en découvre une dernière gobelet : « et le troisième contrepasse » ! et avec un peu de poudre de Perlinpinpin, nous ne retrouverons pas plus de boules sous les gobelets que dans le creux de mam main : partez muscade ! »
Et tandis que la multitude, ébahie de son éloquence de carrefour, rit aux éclats et écarquille de grands yeux comme le dindon de la fable, les mains font leur office adroitement : balles à changer de place, à faire disparaître et reparaître, isolées, réunies, multipliées, diminuées, grossies, devenant boules, pommes, œufs, etc…
Mais ce n’est rien encore, après les mouchoirs coupés en deux et rétablis en leur entier, après les montres pilées, les lapins ressuscités, il reste toujours quelque autre tour aussi fort au-dessus de tous ceux-là, que le soleil est au-dessus de la lune.
Seulement avant d’y procéder, et de passer à l’escamotage d’un enfant ou même d’un homme , il invite, sous le double et spécieux prétexte que l’ancien privilège des bateleurs de payer en monnaie de singe est périmé, (et qu’avec vingt mille francs de gloire on n’achète pas un pain de quatre livres chez le boulanger), l’assemblée à bien vouloir passer à son bureau de recette.
Un chapeau, ou une soucoupe, placé au centre d’un cercle, dans lequel chacun est libre de jeter quelques pièces ou billets, et où l’on reçoit, dit-il, depuis les billets de mille francs jusqu’aux pièces de six liards.(…) D’autres demandent à la société la permission de lui offrir quelque composition de leur façon :
« Je ne la vends pas, Messieurs, je la donne….Et combien ? deux sous ! ».
C’est d habitude quelque pommade pour noircir les cheveux et les gibernes, quelque poudre pour blanchir les dents et les buffleteries, quelques eaux souveraines pour les engelures, les brûlures, les foulures, les apoplexies, les névralgies, quelques savons à détacher.
Les exercices de prestidigitation n’étaient qu’une manière adroite d’amorcer les acheteurs, le marchand a remplacé l’escamoteur.
Le fait propre de celui-ci est donc de faire des tours de passe-passe, et son nom lui vient
« d’ escamote », qui est la petite balle de liège qu’il fait aller et venir à son gré et que l’on appelle aussi muscade, sans doute parce qu’elle est de la grosseur de cette noix ou parce que les anciens escamoteurs employaient des muscades dans leurs exercices.
Quelques escamoteurs en empruntant aux sciences physiques chimiques et mathématiques plusieurs de leurs expériences, si intéressantes, ont grossi le volume de leur gibecière et relevé quelque peu leur profession : Pinetti, Bienvenu, Olivier, Cornus, Bosco, et M Comte ont acquis en ce genre, une grande célébrité, et développés leurs talents sur de véritables théâtres ou dans les réunions de la bonne compagnie.
On a même vu naguère ce dernier appelé devant une cour d’assises pour jeter quelque lumière sur un fait de sorcellerie démoniaque arrivé à Paris chez un parfumeur de la rue Saint Honoré.
Tous les escamoteurs ne travaillent pas de la même manière, ceux des places publiques et des théâtres, s’ils ne réussissent pas n’ont à craindre que leurs spectateurs, d’autres sont justiciables des tribunaux.
Ce sont eux qui, dans les foules, enlèvent dextrement les bijoux, les bourses, les châles, ou ceux qui dans les bals trichent au jeu, font sauter la coupe, changent les dés et les cartes, et finissent en sortant par se tromper de chapeau ou de manteau.
Il y en a enfin une troisième espèce, qui n’est pas la moins commune, mais qui ne relève que de l’opinion publique, ce sont ceux qui escamotent des places, des honneurs, des dignités, en s’en emparant par quelque voie plus adroite qu’honnête.
Le Dictionnaire des arts et métiers dit aussi qu’en termes de broderies « escamoter c’est faire disparaître au moyen d une aiguille les bouts d’or ou de soie, en les faisant rentrer par dessous l’ouvrage ». En musique : « escamoter une difficulté », c’est passer par dessus de manière à ce que l’auditoire ne s’en aperçoive pas ».
V.R
© Un Tour du Monde de la Magie et des Illusionnistes.
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